Saartjie Baartman - Vénus Hottentote

Saartjie Baartman de son vrai nom Sawtche, surnommée la Vénus Hottentote, serait née aux alentours de 1789 dans l'actuelle Afrique du Sud originaire du peuple Khoïkhoï (Khoïsan)  qui sont les plus anciens habitants de la région sud de l'Afrique. Elle meurt à Paris le 29 décembre 1815. Son histoire est révélatrice et souvent prise en exemple de la manière dont les Européens considéraient à l'époque ce qu'ils désignaient par les « races inférieures » et leur représentants.


« La Vénus hottentote conquit donc sa renommée en tant qu'objet sexuel, et la combinaison de sa bestialité supposée et de la fascination lascive qu'elle exerçait sur les hommes retenait toute leur attention ; ils avaient du plaisir à regarder Saartjie mais ils pouvaient également se rassurer avec suffisance : ils étaient supérieurs. »
(Stephen Jay Gould, Le Sourire du flamant rose, Seuil/Points Sciences, 2000).

Elle est fille d'un père khoisan et d'une mère bochiman. Atteinte de stéatopygie (fesses surdimensionnées) et de macronymphie (organes sexuels protubérants), esclave d'un riche fermier afrikaaner, la jeune femme attire le regard d'un chirurgien de la Royal Navy. Il la persuade qu’elle ferait fortune en montrant son corps au européens. En 1810, âgée de 16 ans, elle s’embarque pour l’Europe, où les exhibitions d'êtres humains hors normes ou de sauvages exotiques sont à la mode. On la baptisa du nom de Saartjie Baartman avec l'autorisation spéciale de l'évêque de Chester. Elle erre de foire en cirque en Angleterre, en Hollande, sous le surnom de Vénus hottentote avant d'être amenée à Paris où elle devient un objet d'exposition des music-halls et des salons de la haute bourgeoisie. Sawtche termine sa vie dans les bordels et la misère le 29 décembre 1815.. Elle deviendra par la suite objet sexuel (prostitution, soirées privées).

Victor Hugo y fait allusion dans Les Misérables  en 1862 : « Paris est bon enfant. Il accepte royalement tout ; il n'est pas difficile en fait de Vénus ; sa callipyge est hottentote ; pourvu qu'il rie, il amnistie ; la laideur l'égaye, la difformité le désopile, le vice le distrait […] »

En mars 1815, le professeur de zoologie et administrateur du  Muséum national d'histoire naturelle de France et professeur à la chaire de zoologie, Etienne Geoffroy de Saint Hilaire, demande l'autorisation officielle de « profiter de la circonstance offerte par la présence à Paris d'une femme bochimane pour donner avec plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour, les caractères distinctifs de cette race curieuse. » Après le public des foires, c'est devant les yeux de scientifiques et de peintres qu'elle est exposée nue, transformée en objet d'étude. Le 1er avril 1815, Geoffroy Saint-Hilaire présente un rapport dans lequel il compare son visage à celui d'un orang-outang. Et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills.

Malade, déprimée, le symbole de " l’infériorité africaine " meurt à Paris le 29 décembre 1815, à 26 ans. Déshumanisée, traitée comme un morceau de viande durant sa vie, la Vénus hottentote l’aura été aussi après sa mort, jusque dans sa dépouille.


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Georges Cuvier, zoologue et chirurgien, fait mouler son corps au plâtre. Le savant prélève le cerveau, l’anus et la vulve qu’il conserve dans du formol puis il extrait le squelette. On cherche alors le chaînon manquant entre l’homme et le singe. En 1817, il expose le résultat de son travail devant l'Académie de Médecine et conclut : « Les races à crâne déprimé et comprimé [les “ nègres ”, selon sa terminologie] sont condamnées à une éternelle infériorité. »


l Le squelette de Saartjie est exposé au musée de l’Homme jusqu’en 1974, son moulage jusqu’en 1976, assortis des commentaires « scientifiques » de Cuvier.. « C’est moi qui les ai fait retirer, contre l’avis de mes autorités, déclarait André Langaney, directeur du laboratoire d’anthropologie. De nombreux visiteurs originaires d’Afrique étaient choqués. » Il sont relégués dans les réserves du musée.

l 1991, fin de l’apartheid en Afrique du Sud : Une des premières demandes des Khoïsan au président Nelson Mandela est le retour de la dépouille de Saartjie Baartman, devenue un symbole de leur oppression. Mandela évoque le sujet dès 1994 avec François Mitterrand et en 1996 lors de la venue du ministre français de la Coopération, Jacques Godfrain. Puis dans une lettre du 26 octobre 2000, adressée par Me Skweyiya, ambassadrice de la République sud-africaine, au Quai d’Orsay. La France oppose aux revendications africaines « l’inaliénabilité des collections nationales ». Henri de Lumley, alors directeur du Muséum, refuse de se défaire de la dépouille en raison de son «intérêt scientifique ».

Le corps reste au secret dans les réserves du musée jusqu’à ce qu’un sénateur d’Ile-de-France, Nicolas About, lui donne quelque publicité : « La Vénus hottentote, je la connais depuis mon enfance, raconte-t-il. Je passais mes jeudis après-midi au musée de l’Homme. Lorsque j’ai été approché, il y a quelques mois, par une parlementaire sud-africaine, j’ai accepté d’intervenir. Ces gens se désespéraient de voir avancer le dossier. » Le 6 novembre 2001, Nicolas About interpelle le gouvernement et se heurte au refus du secrétaire d’Etat au Patrimoine, Michel Duffour qui lui oppose que les restes de Saartjie « font partie des collections nationales, lesquelles, selon la loi française, sont inaliénables. Seule une loi pourrait permettre son rapatriement. » M. About dépose alors une proposition de loi au Sénat. Le 29 janvier 2002, le Sénat vote à l’unanimité une proposition de loi décidant la restitution de la dépouille. Ce texte passa en première lecture à l’Assemblée nationale où il fut adopté définitivement le 21 février et promulgué le 6 mars (Journal Officiel du 7 mars 2002).

l Ce n'est pas pour autant la fin des ennuis pour notre malheureuse Sawtche. Le 29 avril 2002, a eu lieu, dans les locaux de l’ambassade d’Afrique du Sud en France, une cérémonie de restitution des restes de la dépouille. Le communiqué conjoint du ministère français des Affaires étrangères, du ministère français de la recherche et de l’ambassade d’Afrique du Sud annonçait l’événement en ces termes :  ” Par la loi du 6 mars 2002, la France a décidé de remettre à la République d’Afrique du Sud la dépouille de Saartjie Baartman, décédée à Paris en décembre 1815 et dont les restes ont été conservés jusqu’à ce jour au Muséum national d’histoire naturelle (…) Cette restitution témoigne de la volonté de la France et de la République d’Afrique du Sud de rendre sa dignité à Saartjie Baartman et de faire en sorte que sa dépouille puisse reposer en paix en Afrique du Sud… »

Un comité spécial est mis en place pour prendre toutes les dispositions nécessaires au bon déroulement de l'hommage national et des funérailles. Pendant ce temps, le cercueil de la jeune Khoisan attend patiemment à la morgue du Cap. Le 9 août 2002, après une cérémonie œcuménique célébrée selon les rites khoisan et ceux de l'Église du Christ de Manchester (la jeune femme avait été baptisée dès son arrivée sur le sol anglais), Saartje Baartman est inhumée près du village de Hankey (Eastern Cape), en présence du président Thabo Mbeki, président d’Afrique du Sud depuis 1999, de plusieurs ministres et des chefs de la communauté Khoikhoï. La dépouille après avoir été purifiée, fut placée sur un lit d'herbes sèches auquel on mit le feu selon les rites de son peuple.

l Le peintre et sculpteur sud africain, Willie Bester, aîné d'une famille de sept enfants, né en 1956 à Montagu, province du Cap en fit × la statue en 2000.

 




Bibliographie
L'Énigme de la Vénus hottentote - par Gérard Badou. Payot & Rivages Collection Petite bibliothèque Payot 2002 - ISBN 2-2288-9644- 6 -

Zoos humains de la vénus hottentote aux reality shows (Collectif) Editions la découverte, Paris- ISBN 2-7071-3638-7-

Vénus hottentote de Barbara Chase-Riboud. Denis-Armand Canal (Traduction)

Liens externes : Rapport à l'Assemblée nationale française exposant les détails de l'affaire

http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r3563.asp

http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2005/04/la_nbspvnus_hot.html

http://www.vgallery.co.za/2000article28/vzine.htm

 




Point de vue :
Les "zoos humains" sont-ils de retour ? par Pascal Blanchard et Olivier Barlet

(LE MONDE, 27.06. 2005) (Olivier Barlet est président de l'association Africultures. Pascal Blanchar est historien et dirige l'agence culturelle Les Bâtisseurs de mémoire.)

Voir
l Histoire du débat colonial en France :
http://hgsavinagiac.over-blog.com/article-31578625.html

l Histoire de la Vénus hottentote :

http://hgsavinagiac.over-blog.com/article-31303472.html

 l Histoire des « zoos humains » en Europe et en France :

http://hgsavinagiac.over-blog.com/article-31495623.html


Ces dernières années, on assiste à quelques tentatives de reproduction de ces spectacles grand public et racistes. En avril 1994, c'est par exemple un "Safari parc" en Bretagne près de Nantes (90 ans après le passage d'un village nègre dans la ville), puis ce fut un "village Massaï" en Belgique (grand spécialiste du genre depuis l'exposition de Tervuren de 1897), suivi en 1996 d'une exhibition de Pygmées (une autre spécialité locale) ; et voici que l'Allemagne, inventeur du "genre" en l'ayant professionnalisé dans le dernier quart du XIXe siècle, revient sur ces "spectacles"... Le 12 juin 2005, après quatre jours de succès, le dernier (en date) des zoos humains vient de fermer ses portes à Augsburg, en Allemagne. Institué "African village", celui-ci s'est offert au regard passionné des visiteurs à l'intérieur du zoo municipal. Si quelques articles ont dénoncé outre-Rhin le "spectacle" ­ notamment le Spiegel et le quotidien TAZ (Tageszeitung ) ­ et si quelques réseaux de chercheurs ont tenté de prévenir l'opinion, il faut noter ­ comme en France et en Belgique qu'aucune réaction gouvernementale n'est venue troubler l'exhibition. De son côté, la directrice du zoo (le docteur Barbara Jantshke), comme ses aînés scientifiques de la fin du XIXe siècle, est très fière d'avoir pu contribuer " à mieux faire connaître les Africains " aux visiteurs.

Et voilà quelques centaines de visiteurs, dont beaucoup d'enfants, qui comme les millions de visiteurs associeront plus facilement les Africains au monde de la nature qu'au monde de la culture.

En France, cette histoire des zoos humains est revenue par deux fois dans l'actualité récente. Quand il s'est s'agi de rendre les "restes" du corps de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud au cours de l'été 2002 et  à propos de Christian Karembeu, canaque de Nouvelle Calédonie qui a toujours refusé comme en 1998 lors de la Coupe du monde de football de chanter La Marseillaise, en souvenir de son arrière grand-père paternel exhibé en 1931 au bois de Boulogne à l'occasion de l'Exposition coloniale Ú  .

Grâce aux travaux fondateurs de Nicolas Bancel, Joël Dauphiné, au roman de Didier Daeninckx, Cannibale (Verdier, 1998), puis à l'ouvrage collectif Zoos humains (La Découverte, 2002) et au film qui a suivi pour Arte l'opinion française a alors pris conscience du phénomène et de son ampleur. Aujourd'hui, accepter ces exhibitions, c'est accepter que, dans un même mouvement, nos enfants croisent le regard du singe, celui de la girafe... et celui du "Nègre". Et beaucoup n'arrivent pas à mesurer ce que cette posture révèle de notre inconscient collectif. Les zoos humains ont rempli une mission : construire une frontière invisible, mais tangible, entre "eux" et "nous".

 

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